Il est très difficile pour un malentendant de comprendre les paroles des chansons, fussent-elles en français.

Si un morceaux lui plait (essentiellement la musique, dans un premier temps) il se débrouillera pour trouver le texte des paroles sur la pochette de l’album ou sur internet (Évidemment, si c’est un album de Mozart, Bach ou Vivaldi, cela risque d’être compliqué !).

Le plus surprenant est que, une fois les paroles lues, il les comprend naturellement lors de la réécoute du morceaux. Comme si la lecture avait débloqué le « verrouillage » intellectuel de la compréhension. Le cerveau ne faisant plus confiance -depuis longtemps- aux « sons » perçus par les oreilles, il n’autorise pas leur mémorisation, de peur d’enregistrer des informations erronées. Par contre, grâce à la lecture des paroles, il valide immédiatement les sons « augmentés » et « confirmés »par le support « visuel » auquel il peut faire entièrement confiance.

Le fait de réécouter le morceau avec le texte des paroles devant les yeux lui apportera enfin ce fameux « confort » de l’écoute, cet apaisement créé par l’omniscience. L’anxiété due à la non-compréhension des paroles disparaitra instantanément et notre auditeur restera songeur, rêvant de pouvoir écouter d’autres chansons en distinguant toutes les paroles, sans avoir besoin de lire en même temps, lui permettant de vivre à chaque fois cet état de satisfaction et de plénitude, pour toujours.

Mais cet état de grâce ne dure jamais.

Notre malentendant prendra conscience que finalement, il ne ratait pas grand chose. Ce qu’il croyait rater, ce qu’il rêvait d’entendre, ces quelques mots ou phrases, alignés de façon quasi-aléatoire, truffés de rimes malheureuses, ne lui apporterons que rarement de la satisfaction. C’est comme un charme rompu.

La déception est souvent très grande, car ce qu’il découvre paraît médiocre comparé à ce qu’il imaginait pouvoir entendre un jour.

Un peu comme quelqu’un qui serait fortement déçu par la vision d’un corps difforme et ingrat, entièrement nu et ridicule, après un strip-tease pourtant torride et sensuel, parfaitement orchestré, accompagné de danses et d’ondulations lentes et fascinantes, laissant la place à l’imagination.

Il est vrai que majoritairement (Je n’ai pas dit « tout le temps »), les paroles de chansons -françaises ou non-, sont à peu près dénuées de tout sens, et ne brillent que très rarement par leur qualité poétique ou littéraire.

Pour le malentendant, se donner tant de mal à essayer d’entendre des choses sans importance apparaît comme un véritable gâchis d’énergie. Après tant d’efforts, la réalité est brutale. Pas étonnant que la tentation de rester « dans sa bulle » soit si grande, avec ce type d’expérience.

Hormis le fait de se sentir dorénavant « comme les autres » après avoir pu entendre de telles merveilles, hum, hum ! Notre malentendant se surprendra alors à philosopher. Il se demandera :

Ne pas comprendre les paroles des chansons: « Est ce une chance, est-ce une malchance ? »