Bien que plongé dans la foule et entouré de centaines de personnes, le malentendant peut très bien se sentir encore plus seul.
J’assiste à un super concert ce soir, en intérieur, dans une salle récente, très bien insonorisée. Nous sommes peut être 500 ou 600 personnes. Le son est bien dosé, pas trop fort. Je suis au milieu de la foule, avec ma cousine, à une bonne distance des enceintes. Les morceaux sont essentiellement instrumental, ce qui n’est pas pour me déplaire.
L’ambiance est détendue, assez intimiste. Le groupe s’apprête à entamer le troisième ou quatrième morceaux de la soirée quand tout à coup, sur un signal, tous les musiciens arrêtent de jouer.
Le trompettiste se met à chercher partout, se retourne brusquement, regardant derrière lui. Tout s’est arrêté, c’est le silence complet dans la salle de concert.
Il explique ce qu’il recherche, mais sa bouche est cachée par le micro, et il parle vite. A cette distance, la lecture labiale est impossible. Je ne comprends quasiment rien de ce qu’il dit.
Je n’entends que le sifflement de mes appareils, devenu perceptible maintenant que le silence s’est fait.
Une sensation de malaise me saisit.
Et le doute m’envahit. Je me dis: » C’est pas vrai, il ne recherche quand même pas le sifflement de mon appareil, il ne peut pas l’entendre à cette distance, c’est pas possible, même doté de l’oreille absolue !
Il demande à la foule de rechercher avec lui.
Je vis un grand moment de solitude.
Un frisson me parcoure l’échine : » Et si c’est vraiment mon sifflement qu’il recherche ?
Je m’attends à ce qu’un projecteur soit braqué vers moi à tout instant. Ça va être mon heure ce soir. Il va me parler dans le micro, je ne vais rien comprendre de ce qu’il me dira. C’est pas grave, tout le monde me prendra pour un abruti, tant pis, j’assume. Je me contenterai de rigoler bêtement. Il finira sur une boutade et ensuite, ils recommenceront à jouer. Et on m’oubliera.
Je reste figé, je n’ai même pas le réflexe de couper mes appareils, pensant que si l’on me voit faire, les gens comprendront immédiatement que le sifflement vient de moi.
Je me rassure en constatant que mes voisins les plus proche ne me regardent pas. Personne ne me regarde d’ailleurs. Tout le monde regarde en direction de la scène. Ouf ! Donc ça ne peut pas être moi le souci. Il cherche autre chose, mais je ne comprend toujours pas quoi ?
Je finis par valider l’hypothèse qu’il est en train de rechercher la source d’un léger sifflement dans ses amplis, et qu’il est si faible que peu de gens l’entendent. Cette hypothèse m’étonne, car je n’ai jamais vu quelqu’un faire ça en plein concert. Et pourtant, j’en ai vu des concerts. Entre deux morceaux, peut être, on peut changer une corde, ré accorder son instrument, mais là, s’arrêter comme ça en plein milieu d’un morceau, c’est du jamais vu !
Je coupe quand même mes appareils, discrètement, dès fois que l’investigation se prolongerait jusque dans la foule !
Le concert reprend enfin. Le musicien semble avoir trouvé ce qu’il cherchait, les gens rient et applaudissent. J’ai rien compris de ce qui s’est dit, mais c’est pas grave, j’ai l’habitude. En tout cas, je suis soulagé. J’ai vraiment cru que ça allait me tomber dessus.
Ce n’est qu’à la fin du concert, en rentrant dans la voiture que je demande à ma cousine qui m’accompagnait ce qu’il cherchait.
Elle me dit : « Il a fait un sketch sur la schizophrénie… il cherchait son double qui le suit tout le temps ! ».
La schizophrénie….Ha ha ha !!! J’éclate de rire. C’est trop fort. A aucun moment je n’ai pensé à un tel scénario. Et voilà, une fois de plus, j’étais complètement à coté de la plaque, et j’ai raté l’évènement en direct, alors que j’y étais !
En tout cas, j’ai frôlé la paranoïa ce soir avec cette histoire.