Quand on s’aperçoit que même la providence s’y met !
C’est l’histoire de Monsieur Collaire.
Il menait une existence paisible avec sa femme et leur petit chien, dans leur charmant pavillon.
C’est alors qu’un jour, le chien du voisin, un gros bâtard très agressif et n’obéissant à personne, pas même à son maître, sauta par dessus la haie, et agressa le petit chien de Mr et Mme Collaire dans leur propre jardin.
La hargne avec laquelle le gros chien mordait le petit laissait deviner l’issue tragique et macabre vers laquelle s’orientait le combat.
Mr Collaire, assistant à cette scène depuis la fenêtre de son salon, se rue vers l’entrée de sa maison, et en passant devant la cuisine ou se trouvait sa femme, lui crie :
– « Salopard, Je vais le tuer ! »
Sa femme, stupéfaite, n’ayant pas assisté à la scène, ni compris ce qui était en train de se passer lui répond :
– « Hein, quoi, tu vas tuer qui ? »
Ivre de rage, Mr Collaire prend son fusil dans l’armoire de l’entrée, l’arme avec deux cartouches, et répond à sa femme : « Le chien, je vais tuer le chien ! »
Il sort immédiatement par la porte d’entrée, épaule son fusil, vise le gros chien en attendant le moment propice pour tirer, sans prendre le risque de tuer le sien (oui, le sien, son chien, le petit !) mais sans attendre trop longtemps non plus, car plus il attendait, plus il risquait de retrouver son chien (pas son sien, son chien !) en charpie.
Mais juste au moment ou Mr Collaire allait appuyer sur la détente, Mme Collaire, sortie précipitamment derrière son mari, complètement affolée, se jette sur lui dans l’espoir de l’empêcher de tirer. Dans son élan désespéré, elle l’attrape par le bras, trébuche, tombe à ses pieds, et dévie ainsi malencontreusement la trajectoire du canon du fusil.
Le coup part.
Il tue net un piéton qui passait derrière la haie du jardin.
Et il s’avère que ce piéton s’appelait Monsieur Lechien !!!
Et que ce monsieur était l’amant de Madame Collaire.
Mais ce dernier détail n’était connu que des deux principaux intéressés, Madame Collaire et Monsieur Lechien . C’était comme on dit, leur petit secret. Nous n’en parlerons donc pas dans cette histoire !
Le lendemain, le journal local titre: « Alors que le chien du voisin allait tuer son chien, en voulant tuer le chien, il tue Lechien « .
Dans la rue, un passant ayant déjà lu l’article, mais ayant toujours un doute sur cette histoire, demande à un autre, qui lisait à son tour l’article dans le journal, de lui expliquer l’affaire:
– « Mais il a été tué par qui ce chien, et comment ? »
L’autre lui répond:
– « Non, pas « ce chien » ! C’est « Lechien » , et il à été tué par « Collaire » ! »
– « Quoi, il l’a tué juste parce qu’il était en colère ? »
– « Ah, ça, je le pense, oui. Il devait être bigrement en colère pour faire ça ! Je ne vous le fais pas dire. Ha ha ! Pourtant, au début, ils disent que c’était pour sauver son chien à lui qu’il voulait tuer l’autre chien, mais c’est sa femme qui a tué « Lechien » finalement ! »
– « Quoi, c’est pas lui qui à tué le chien ?
– « Ben non, là ils disent: …En empêchant son mari de tuer le chien, elle tue « Lechien » … »
– « Hein ? Sa femme aussi a tué un chien ? Mais combien de chiens sont morts dans cette histoire ? »
– « Heu, à la fin, ils disent: …Bilan du drame, deux morts: leur chien et « Lechien » … »
– « Mais le chien qu’il voulait tuer, lui, c’était pas le sien ? »
– « Ah non ! C’était le chien du voisin ! »
– « Le chien du voisin ? C’est le deuxième chien tué, alors? »
– « Ben, non. Il n’est pas mort. Par contre leur chien à eux, oui ! »
– « Mais bon Dieu ! Sa femme, lequel a t-elle donc tué alors ? »
– « Ben… c’est « Lechien » ! »
Je vous fais grâce de la suite de ces incroyables conversations, mais je peux vous assurer que dans la semaine qui a suivi ce drame, il régnait une atmosphère bizarre dans la ville.
A chaque fois que quelqu’un parlait de cette affaire, les autres étaient tous sur le qui-vive, incroyablement concentrés et observateurs, hyper-attentifs aux paroles prononcées, regardant bien en face leur interlocuteur, les yeux rivés sur ses lèvres, s’aidant de la lecture labiale, ne faisant plus du tout confiance aux sons, aux paroles qu’ils entendaient.
Doutant d’ailleurs de bien comprendre ce qui était dit, chacun faisait répéter plusieurs fois la même phrase à son interlocuteur, de peur de ne pas avoir saisi parfaitement ce qu’il leur disait. Un seul doute sur un mot, et toute la phrase perdait son sens.
Certains n’hésitaient pas à écrire ce qu’ils voulaient dire pour être sûr d’être précisément compris, et rassurer ainsi leurs auditeurs.
On aurait dit une ville remplie de malentendants…